La Capsule...

 La Capsule d’Arabislamia : stratégie pour l’Infrajtihad

Eviter les courts-circuits

L'islam est aujourd'hui plus que jamais acculé à plaider innocent face à toutes sortes d'extrémismes - ceux avancés à son nom au même titre que ceux avancés à son encontre. Fort heureusement, il semble que les intégrismes islamiques, du moins, ont généré leur propre antidote. Je désigne ici les révisionnismes, réformismes, l'islam(isme) progressiste, l'islam (isme) de gauche (1) ...

Cependant, le problème est : que devrait-on réviser, relire ou réinterpréter ? Et à quoi ne devrait-on pas toucher? Dans le but de préserver une certaine unité au sein de la communauté musulmane. Car il n'y a pas de plus choquant pour la masse des musulmans (thermomètre de toute entreprise de changement, et toute sorte de réforme religieuse à fortiori) que de s'adresser à eux avec des vocables comme "relecture", "révision", "(ré) interprétation" de l'islam / texte.

L'idée de la "capsule" rentre justement dans le cadre de construire une pensée du nouveau Musulman, en premier lieu, et celui d’éviter, en ce faisant, ces "courts-circuits" idéologiques et psychologiques.

Il s'agirait de mettre en place une sorte de schéma technico-tactique pour la grande besogne de métissage de l'islam et de la modernité, une vue d'ensemble d'une synchronie de l'histoire de la pensée islamique, c'est à dire d'une forme intégrante de l'Ijtihad qui soit adaptable à l'époque actuelle, cette ère où, selon les dires de Hassan Hanafi, " deux légitimités ont fait collision; celle du présent et celle du passé; celle de la religion et celle de la révolution. Et c'est à la pensée patriotique créative d'unir les deux légitimités constituant la base de l'existence arabe " (et musulmane ; Arabislamia) (2)

La Capsule serait, sur un plan plus précis, une miniature de l'appareillage stratégique pour la "mère des batailles" (3), la vraie, celle qui serait déclarée sur soi-même; une bataille intellectuelle, spirituelle et existentielle, dont le déclenchement serait le produit d'un brassage entre un besoin d'ordre temporel ( le changement en vue d'atteindre progrès et bonheur ) d'un côté, et un autre d'ordre religieux, d'un autre côté : " En vérité Dieu ne change rien, en un peuple, tant qu'ils n'ont rien changé en eux-mêmes. " (4)

De Bourguiba à Ben Ali : la persistance dans un ijtihad rationnel justifié

Autrement dit, ce serait une vue d'ensemble d'un dispositif pour le "grand jihad" (5) ( "al-jihad al-akbar"), le vrai, celui pacifique, celui en concordance avec un commandement coranique et prophétique (6) (7), croisé avec une devise séculière ( temporelle ) de la même appellation ( "al-jihad al-akbar") très chère à Habib Bourguiba (8), et par lui appliquée d'abord lors de sa lutte désarmée ( entre autres ) contre la colonisation , puis dans le cadre de la lutte d'après-indépendance pour laquelle il s'attela à une véritable "désinstallation" de la vieille, vétuste version de pensée islamique mythique, de l'esprit populaire  (9) , laquelle idée fut plus tard  reprise sous d'autres formes par l'actuel leader Z.A Ben Ali dans le cadre de l'œuvre de développement général en Tunisie (10).

Le volet religieux de la devise du "grand jihad" est d'autant plus pacifiste que le verset décrétant le "petit jihad" (note No 6 ) est précédé d'un autre qui souligne la perspective pacifiste dans laquelle sont perçues les nobles relations intercommunautaires : " Ho, les gens ! Nous vous avons crées d'un mâle et d'une femelle et vous avons désignés en nations et tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. Oui, le plus noble des vôtres, auprès de Dieu, c'est le plus pieux des vôtres. Dieu est savant, informé, vraiment." (11)

Ainsi les Musulmans ont-ils toujours été orientés, par le Livre Saint ainsi que par la sunna, vers le plus fondamental et le plus libérateur des jihad, "al-jihad al-akbar", et également prévenus de bien peser leurs décisions et actes afin qu'ils ne soient acculés de  payer le prix de quelque déclaration de guerre insensée : « Et combattez dans le sentier de Dieu ceux qui vous combattent, et ne transgressez pas. Vraiment Dieu n'aime pas les transgresseurs. » (12)

Mais, malheureusement, c'est l'idée du "petit jihad", connu aussi sous le nom de "guerre sainte" - et non pas celle du "grand jihad"- qui, au détriment de l'humanité entière, a été injectée dans l'esprit du Musulman et s'est vue , par voie de conséquence,  faussement déployer au point qu'elle a réduit, malencontreusement, l'esprit du Musulman à une "machine de guerre" tandis qu'elle fut autrefois- à des moments particuliers-  uniquement imposée par un concours de circonstances... (13)

La Capsule

Pour revenir au schéma  stratégique, cadre seyant pour une interprétation moderne de l’interprétation de l’interprétation du coran, il faudrait imaginer une capsule spatiale de forme cylindrique, à double traction, avant et arrière, donc dotée de deux moteurs : un situé à l'avant, tenant lieu de couvercle antérieur ; c'est un "scanneur-tracteur ". Et l'autre est situé à l'arrière, à l'endroit du couvercle postérieur; c'est un "poussoir-propulseur".

Le cockpit de la capsule est subdivisé en deux chambres communicantes, par défaut, grâce un mur mitoyen appelé "mur-filtre".

La moitié postérieure est l' "antichambre-réservoir" (local pour l'Islam / Texte / la Vérité Divine ). Quant à la moitié antérieure, elle est meublée par le "labo-cabine" (domicile du  capitaine, le « Muslim Wassat » (14), pilote de cet engin du progrès, et constructeur de la Culture Médiane (15), qui est l’expérience au quotidien ; la religiosité et la pensée conséquente ; le nouveau discours fondateur de nouveaux discours : politique, social, économique etc.

L' "antichambre-réservoir" est l'endroit où, historiquement, il n'est plus question d'agir, encore moins de produire. Puisque les portes de l'ijtihad ( classique ) sont dites closes depuis maintenant onze siècles! Le Coran s'est toujours présenté à nous comme un texte déjà expliqué, pourquoi donc s'obstiner à ouvrir une porte ( de l'ijtihad traditionnel ) qui n'est plus ouvrable ? Devrait-on persister dans le faux, quitte à défoncer ladite porte ? Hélas! Ce fut malheureusement le cas : la bipolarisation politique ( action récurrente et cyclique dans plusieurs pays arabes et musulmans ) entre l'islam politique et le sécularisme est une porte défoncée. La guerre civile en Algérie ( années 1990 ) fut une porte défoncée. Et l'événement du 11 septembre 2001 fut la plus grosse des portes défoncées, sinon le plus grossier des défoncements que  n’eût engendré l' « islamite », cette pathologie caractérisé par un surplus doctrinal et dogmatique tributaire aussi bien d’une visualisation erronée de la problèmatique du sous-développement aussi bien que d’une conception non moins ambigüe d’une solution pour le progrès.

Une orientation historique, celle du temps irréversible

Quant au "labo-cabine, c'est le compartiment le plus actif , par définition, car c'est là que siège la Culture Médiane, qui, bien que ne constituant qu'une partie de l'édifice - intégrant et intégré - de la religion du Musulman contemporain, elle en demeure le territoire actif, par excellence. Et le succès de son "capitaine ", le Muslim Wassat dans son rôle de chercheur, d'apprenant actif et de constructeur de connaissance à la limite de ce que le lui permet son vécu par rapport aux exigences du message divin, demeure tributaire du bon positionnement de toutes les parties concernées. Et c'est, indubitablement, là aussi que tous ceux, parmi les Muslim Wassat, qui en ont l'aptitude, c'est à dire les nouveaux interprètes ( al-mujtahidoun al-jodod" ) (16), pourront effectuer l'Infrajtihad, le nouveau ijtihad : la porte qu'on n'aurait pas pu, pendant les siècles dits "de décadence", déclarer ouvrable, faute de moyens intellectuels et épistémologiques adéquats , lesquels moyens n'ont commencé à être mis à la disposition des Musulmans, à l'instar de l'humanité entière, qu'à l'époque contemporaine. (17)

D'un autre côté, le succès de l'acte d'un Musulman (capitaine de son "labo- cabine" ) dépendrait, d'une part, d'un bon départ, c'est à dire que l'acte en question devrait être la résultante  d'un métissage entre une nécessité temporelle ( d'ici-bas; séculière ) et un désir religieux qui soit pompé directement au moyen du "poussoir-propulseur" du dedans du "labo-cabine" et / ou de l' "antichambre-réservoir". Atteindre le succès serait, dans cette perspective, tributaire de l'intensité de l'effort (souvent pénible) qu'on aurait fourni, ainsi que du degré d'adhérence de la foi /l'effort investis dans cette besogne visant à construire d'une pensée basée sur l'expérience ; l'action historique.

Le succès de l'acte d'un Musulman dépendra également de l'intensité de la "traction" ( rôle du "scanneur-tracteur") en direction des idéaux religieux : Unité / Unicité Divine, Rétribution, Rédemption, Miséricorde, Clémence, Intercession ( "chafa'a " ), combattre l'associationnisme ("chirk")...C’est une marche vers un autre temps, une autre époque, tels que signifiés dans les nouvelles trouvailles de la physique(théorie du chaos etc.) selon lesquelles « le temps est invention ,ou il n’est rien du tout »(18).

Ces deux parcours ( la « poussée » et la « traction ») constitueraient, en définitive, l'esprit et la finalité de l'œuvre de la Culture Médiane. Ils auraient été tracés, dans la complémentarité, pour définir le processus d'accomplissement de son acte de fidélité à Dieu par un Muslim Wassat au beau milieu du parcours coranique : " ô homme, oui, tu courras de course vers ton Seigneur, puis Le rencontreras." (19), lequel parcours est balisé par le non moins sublime cadre de "oummatan wassatan" : " Et c'est ainsi que Nous avons fait de vous une communauté de juste milieu, pour que vous soyez témoins contre les gens, et le Messager, témoin contre vous." (20)

La philosophie essentielle est née

Les mouvements de "poussée" et celui de "traction" ne seraient pas de quelque utilité que ce soit dans l'opération de construction d'une pensée basée sur l'expérience, grâce à une philosophie synthétique et synergique appelée volontiers A.M.E ou « Activité du Musulman Essentiel » (21), si le "labo-cabine" ( siège de la Culture Médiane ) n'était pas maintenu dans un mode de fonctionnement centripète par rapport à l' "antichambre-réservoir" ( siège de l'islam/ texte ), et cela grâce au "mur-filtre" mitoyen.

Si la Culture Médiane prend de l'islam / texte, par le Muslim Wassat interposé, et n'en donne rien, c'est que le principe fondateur de celle-là voudrait que ce qui serait à corriger, à "guérir" (22) , à peaufiner ou à réajuster, ce ne serait ni le Coran ni le hadith ( et sunna ), mais ce serait le comportement, l'expérience, la religiosité et la pensée du Musulman; c'est à dire la vision que celui-ci a eu, jusque là, du monde autour de lui, au moyen de cet héritage théorique et didactique qu’est  l'islam / texte, à partir du moment où celui-ci est filtré à travers la science et la conscience de l’être musulman.

Et si la Culture Médiane ne prend pas de l'islam / texte autant que le désirent d'aucuns sous prétexte que le caractère global et intégrant de l'islam (malgré la véracité de l'argument) ne permet pas la défragmentation de celui-ci en tant que système, c'est que la Culture Médiane propose cette même orientation globale et intégrative , mais dans une perspective actualisée et mise à niveau selon les conditions de l'ère actuelle et selon les modalités décrites ci-haut.

Ce qui reviendrait à dire que la Culture Médiane préconise la mise en valeur du Musulman- croyant en tant que porteur actif de la quintessence du Message Divin. Et ce serait dans le cadre plus général de la capsule que cela pourrait être mis à exécution. Autrement dit, ce cadre se voudrait accueillant et annonciateur d'un modèle concret pour l'interprétation : " Foi- Pensée- Action", réalisable dans des airs purifiés et sous des lumières d'un ciel étincelant à jamais...

Mohamed Hammar

Dernière mise à jour le 27 janvier 2009

* Comme l’ijtihad est un « effort d’interprétation », j’appellerais aussi, volontiers et avec conviction, ce nouveau genre d’ijtihad «  Infrajtihad »,  « autre ijtihad », ou encore « ijtihad souterrain » (voir justifications dans les documents fondateurs publiés sur http://islaminfrajtihad.canalblog.com)

(1) Voir notamment les œuvres de Hassan Hanafi ( Islam de gauche, Égypte ), celles de Omid Safi (  Progressive Muslims, USA )

(2) H.Hanafi, défenseur du projet de " patrimoine et renouveau", dans son article " Salafisme et sécularisme "( en arabe ) http://a.amaaz.free.fr

(3) Nom emprunté aux fameuses batailles d'auto défence  perdues par le régime irakien déchu ( une fois en 1991,  puis en mars/avril 2003 contre la force de la Coalition )

(4) Coran  13 : 11 , traduction de Muhammad Hamidullah, Ed. Amana corporation, 1989

(5) La  grande lutte

(6) qui, malheureusement fut réduit par certains puristes au "petit jihad" ( "al-jihad al-asghar" ) que stipule le verset 49 : 15 " Rien d'autre : sont croyants ceux qui croient en Dieu et en Son messager, puis ils ne doutent point, cependant qu'ils luttent de biens et de corps dans le sentier de Dieu. C'est eux les véridiques."

(7) Pour éclaircir davantage la signification des deux jihad en ce sens que "al-akbar" est la règle tandis que "al-asghar" est l'exception, voir :

a. Muhammad Achmaoui, "L'islam pratique" ( en arabe ), 2è éd., Ed.Sinai, Le Caire, 1989, p.p 98-109

b. Mohamed Talbi, "Les protégés de Dieu" ( en arabe ), Ed.Cérès Editions, Tunis, 1992, p. 168

(8) Le premier président de la République Tunisienne

(9)se basant, pour ce faire, sur les théories du fameux mufti et interprète tunisien Mohamed Tahar Ben Achour ainsi que sur les travaux de l'écrivain et réformiste féministe Tahar Haddad.

(10) Voir la réforme nationale de l'éducation, essentiellement celle des programmes d'"istruction religieuse"  ( fin des années 1980- début des années 1990)

(11) Coran 49 : 13

(12) Coran 2 : 190

(13) Voir encore source No 7

(14) Wassat : du milieu; médian; de Wassatia / oummatun Wassatun / oummatan wassatan ( la dernière forme apparaissant dans le Coran 2 : 143; voir note No 16 pour la traduction du verset )

(15) Pour avoir une idée plus élaborée de la Culture Médiane, qui est, en fait, l'idée centrale de l’Infrajtihad que nous préconisons, comparée à la Capsule, qui n'en est que le récipient où la Culture Médiane est censée interagir avec d'autres corps fonctionnels, voir notre blog.

 (16) Ne s'agissant nullement d'interprétation à l'intérieur du Coran, seront appelés " nouveaux interprètes" ou « Infrajtihadistes », les enseignants,hommes de lettres, sociologues, psychologues, communicateurs, ingénieurs etc. …dont la science leur permet de jouer les explicateurs de l’interprétation existante de l'islam / texte.

(17) Grâce au progrès scientifique et technologique, évidemment. Ce thème sera le sujet d'un article en cours d'élaboration.

(18) Henri Bergson in «  Evolution créatrice » (1916), PUF, 1970, p. 341

(19) 84 : 6

(20) 2 : 143

(21) Voir nos autres articles, notamment « Le Patient d’Arabislamia » sur notre blog

http://islaminfrajtihad.canalblog.com

(22) Voir à ce sujet " Comment guérir l'islam ?", interview de A.Meddeb, publiée dans" Le Nouvel Observateur" No 2254 , semaine du 17 janvier 2008 et sur http://hebdo.nouvelobs.com . En fait nous pensons que l'idée selon laquelle c'est le Coran qui demande à être "guéri" obsolète et non avenue.